vendredi 20 septembre 2013

Le travail

L’homme n’est pas fait pour le travail, et sa pente naturelle est d’en faire le moins possible. Il faut donc de puissants motifs pour qu’il s’y livre. On pourra retenir trois méthodes de contrainte : la moins efficace est la violence, le travail forcé imposé en permanence à une fraction de la population (esclaves, prisonniers); cette méthode est la moins efficace en raison du freinage qu’elle détermine et des frais énormes de surveillance et d’organisation qu’elle entraîne. La plus efficace est l’enthousiasme, c'est-à-dire le don volontaire que l’on fait de ses forces et de son temps pour l’accomplissement d’une tâche collective; c’est plutôt une méthode idéale, car les sociétés humaines ayant toujours été jusqu’à ce jour hiérarchiques, l’enthousiasme aurait joué surtout au bénéfice des couches supérieures, ce qui réduirait d’autant ses chances de survenir ; les rares exemples qu’on peut noter sont liés à des circonstances exceptionnelles (périodes de guerre ou de révolution), par nature transitoires. Il reste la dernière méthode, c'est-à-dire la nécessité de subvenir à ses besoins. Or il n’y a pas de besoins naturels ou élémentaires. Sont élémentaires les besoins considérés tels dans une société donnée, et notre société industrielle est justement axée sur la croissance des besoins. Le travail avait pour nos ancêtres une connotation plus péjorative que valorisante. Ceux-ci savaient vivre, si l’on ose dire, entre les famines, les épidémies et les guerres. « Qu’on en juge : cent soixante-quinze jours chômés par an dans toute la Rome impériale et cent soixante jours au Moyen Âge dans l’Europe catholique ; jours chômés consacrés aux fêtes, aux jeux, à la politique et à la religion. Méprisé dans l’Antiquité, le travail était essentiellement servile et l’homme libre se devait de se consacrer à l’otium . La tradition catholique de son côté n’a jamais beaucoup valorisé le travail, au contraire de la tradition protestante, comme l’a bien souligné M. Weber. C’est la révolution industrielle qui a réduit le temps libre à sa portion congrue en asservissant l’individu au temps des mines, des usines et des gares. Le chef d’entreprise était devenu le maître du temps avec ses horloges, ses horaires, des journées de labeur interminables, puis avec l’apparition du travail de nuit. Dans la classe ouvrière on y mourrait jeune, de fatigue, d’épuisement et d’usure. La littérature abonde pour décrire avec détail la misère à cette époque. C’est dans ce contexte que les luttes syndicales ont eu pour principal objectif la diminution de la durée du travail.» En fait, c’est la révolution scientifique et technique qui a le plus fait pour le progrès de la condition sociale du prolétaire. On produit de plus en plus de biens avec un moindre travail, qualitativement et quantitativement. Paradoxe, la rationalisation du travail génère le chaos social. La société salariale semble s’engager sur la voie du travail réduit en durée, mais ce ne sont là que des pronostics d’économistes et de sociologues qui butent sur un obstacle psychologique. L’individu ne serait-il pas le principal frein à cette nouvelle potentialité historique d’un abaissement du temps de travail ? « Si l’entreprise prend le temps du sujet, c’est peut-être parce que le sujet désire s’y laisser prendre…» conclut ainsi Roland Brunner sur la question du temps de travail. Karl Marx définit le travail comme « l’ensemble des actions que l’homme, dans un but pratique, à l’aide de son cerveau, de ses mains, d’outils ou de machines, exerce sur la matière, actions qui, à leur tour, réagissant sur l’homme, le modifient.» Le développement individuel apparaît comme le produit de l’interférence entre deux tendances : l’aspiration au bonheur, égoïsme, et l’aspiration à l’union avec les autres membres de la communauté que Freud qualifie d’altruisme. Dans l’évolution culturelle, on a l’impression que la création d’une grande communauté humaine réussirait mieux si on n'avait pas à se soucier du bonheur de l’individu. Cette idée est clairement exprimée par l’importance que l’on donne à l’entreprise au détriment de celle accordée aux intérêts personnels de ses salariés. Je déplore avec Friedmann que l’on s’occupe plus du processus industriel et de ses intérêts économiques que du bien-être des hommes qui l’activent . La plupart des civilisations — même l’humanité toute entière — ne sont-elles pas devenues névrosées sous l’influence des efforts du processus de civilisation même ? BIBILOGRAPHIE: BRUNNER (Roland), op.cit. pp 29-30. C’est George Friedmann qui cite Marx dans Friedmann et Naville, Traité de sociologie du travail, Paris, Armand Colin, 1964, Vol I, p 12. L’auteur donne en référence l’ouvrage suivant, auquel je me suis également reporté par ailleurs : MARX ( Karl), Le Capital, Paris, Editions sociales, 1948, t.I, p.180. DE COSTER, PICHAULT, Traité de sociologie du travail, Bruxelles, De Boeck-Wesmael, 1994, p 234 FREUD (S.), Malaise dans la civilisation, Paris, PUF, 1971. Le livre La Maintenance sous traitée

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire