vendredi 20 septembre 2013

Les classes sociales dans l'industrie.

La situation décrite par Jean Dupré dans La Maintenance sous traitée révèle une configuration sociale hiérarchisée par la domination du donneur d’ordres sur le sous-traitant et celle du salarié sur l’intérimaire. Bien que le travailleur temporaire touche lui aussi un salaire, il ne fait désormais plus partie d’un salariat, au sens de Robert Castel . Pour Max Weber, il s’agit d’«un état intermédiaire, souvent inévitable, dans tous les cas indésirable». Un ensemble rigide délègue à un sous-ensemble la charge de sa flexibilité : le système macro-social de la firme, ou trust international capitaliste, décharge sur une petite unité placée géographiquement dans une contrée déshéritée la fabrication de petites séries et la réalisation d'opérations spéciales. Sous-traiter signifie: déléguer sa part de flexibilité que l'on ne peut assumer. À l’inertie du marché interne s’oppose la grande mobilité du sous-traitant. Le marché secondaire joue un rôle d’appoint « et éventuellement de sas pour socialiser des personnels dont certains seront intégrés de manière stable. Dans une situation de sous-emploi et de sureffectifs, les deux marchés sont au contraire en concurrence directe. La pérennité des statuts du personnel de l’entreprise fait obstacle à la nécessité de faire face à une conjoncture mobile.» Les salariés du secteur secondaire ont moins de droits, ne sont pas protégés par des conventions collectives et peuvent être loués au coup par coup. BIBLIOGRAPHIE: CASTEL Robert, Les métamorphoses de la question sociale, Paris, Fayard, 490p. WEBER Max, L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme, Paris, Plon, 1976, 340 p. Le livre La Maintenance sous traitée Support independent publishing: Buy this e-book on Lulu.

La maintenance.

Tous les chercheurs qui ont approché de près ou de loin la question du changement technique sont d’accord sur l’idée que la maintenance est une activité dont l’importance s’accroît avec l’essor de l’automation dans les processus industriels. Pourtant les études clés qui ressortent en sociologie industrielle sont toujours axées sur la production. La tendance à porter celle-ci au-devant de la scène des activités d’une usine ne fait que refléter une réalité de terrain. La production, ses locaux et son équipement, c’est ce qu’on montre aux visiteurs, investisseurs, décideurs et hautes personnalités, chercheurs, stagiaires, ou parents du personnel. C’est l’activité qui, de toute évidence, réalise le produit dont la vente est la finalité de l’établissement. On peut donc avoir toutes les raisons de penser que cette activité est l’unique objet de toute curiosité venant de l’extérieur. A moins qu’ils ne soient orientés par les dirigeants des firmes pour promouvoir les activités sociales au sein de la production pour l’extérieur, il est donc tout à fait normal de voir économistes et sociologues se diriger vers les locaux de production quand ils viennent en usine et délaisser les ateliers de maintenance. La maintenance, c’est une activité compliquée, de haute technicité, occulte pour le profane. La maintenance, ce sont des gens qui réparent les machines lorsqu’elles sont en panne, qui les règlent, mais encore ? L’idée de maintien en état de marche d’une installation mécanique peut se résumer par le terme entretien. Avant de s’appeler service de maintenance, la division d’une usine affectée au maintien des murs et de leur contenu matériel en bon état recevait le titre de service entretien. Il ne faut entendre sous la notion de bon état ni le maintien à niveau neuf, ni à niveau minimal exigé pour que l’installation reste en service, mais un compromis, un état où l’équipement peut continuer à fonctionner sans être l’objet de pannes fréquentes entravant l’activité industrielle. Cette notion de bon état est donc très relative, mais n’en est pas moins importante. L’évolution du process industriel par l’automatisation et la réduction en effectif du personnel présent pour la surveillance et pour l’entretien des installations s’accompagne de la précision toujours plus fine de cette notion. Selon la densité et la proximité humaine dans l’environnement d’un système mécanique, le bon état de celui-ci est apprécié différemment. A l’extrême, les composants mécaniques d’un atelier entièrement automatique fonctionnant sans arrêt ne doivent jamais tomber en panne. Ceux qui complètent le travail de l’homme sur un équipement semi-automatique, continuellement surveillés par la présence humaine, ne requièrent pas une aussi grande fiabilité. Même si ces deux exemples sont caricaturaux, il est réellement difficile d’associer forte densité humaine et haut degré d’automation. En fait, ces deux exemples appartiennent à deux époques différentes, et, aujourd’hui, c’est pour une fiabilité maximale que doivent œuvrer les services de maintenance. Ce dernier mot est symbolique d’une plus forte demande en fiabilité que son prédécesseur entretien. Il évacue du même coup tout ce qui est périphérique éloigné de la production : maçonnerie, menuiserie, par exemple; pour être concentré sur l’outil de production. Car la maintenance est au service de la production, en termes de dépannage et d’assistance. Plus le processus d’automatisation s’amplifie, plus la production intègre une partie de la maintenance, mais plus elle devient exigeante en regard de ce qu’elle n’intègre pas. La production prend à sa charge les pannes ponctuelles, mais elle exige auprès de la maintenance que celles-ci deviennent de plus en plus rares. Le but théorique est de supprimer toute défaillance. En termes de délais et de résultats, la maintenance est fournisseur de la production. Rationaliser le travail de maintenance est un enjeu, mais le résultat n’en est pas évidemment heureux. La rationalisation du travail de production déboucha sur le travail parcellaire. Ce dernier s’estompe par l’essor de l’automatisation, laquelle décerne la primauté du contrôle sur l’opération : l’ouvrier de production n’exécute plus, il gère. Entre 1960 et 1981, les travaux parcellaires répétitifs déclinent en regard du temps passé par rapport au temps total travaillé : 90 % en 1960, et 15 % en 1981. Parallèlement, l’activité de contrôle des installations devient prédominante : 10 % en 1960, elle occupe 85 % en 1981. Ce glissement s’accompagne de celui des priorités qui fait naître à l’arrière-plan un complexe incitant à une révision des structures du travail. La forte demande en main d’œuvre qualifiée a rapidement eu pour conséquence une surabondance de celle-ci, entraînant la perte du pouvoir que détenaient les ouvriers professionnels d’entretien sur la production. La maintenance pénètre la production, et les frontières s’estompent. Pour Marx, la figure du travailleur qualifié n’existe pas. Le travail qualifié complexe n’est qu’un composé de travail simple non qualifié. Cette réduction un peu rapide sert pourtant de base à l’objectif des nouveaux dirigeants des services de maintenance des grosses firmes, et si cette équation combinée avec les nouveaux outils informatiques peut aboutir, c’est qu’elle aura forcé la résistance passive qui hantait les collectifs de travail des ex-services entretien. Que ce soit avec ou sans un processus de rationalisation, la maintenance a aujourd’hui un but clair. Il s’agit de rendre les installations productives les plus autonomes possibles de l’intervention humaine, libérant les derniers travailleurs de tâches ingrates et d’un environnement infernal. La maintenance, c’est l’une des mains du Progrès qui œuvre pour le bonheur de l’Homme. BIBLIOGRAPHIE: KERN (Horst), Schumann (Michael), La fin de la division du travail ? La rationalisation dans la production industrielle, Editions de la Maison des Sciences de l’Homme, Paris, 1989, p.92. TOURAINE (Alain), Critique de la modernité, Paris, Fayard, 1992, p 128. Le livre La Maintenance sous traitée

Le travail

L’homme n’est pas fait pour le travail, et sa pente naturelle est d’en faire le moins possible. Il faut donc de puissants motifs pour qu’il s’y livre. On pourra retenir trois méthodes de contrainte : la moins efficace est la violence, le travail forcé imposé en permanence à une fraction de la population (esclaves, prisonniers); cette méthode est la moins efficace en raison du freinage qu’elle détermine et des frais énormes de surveillance et d’organisation qu’elle entraîne. La plus efficace est l’enthousiasme, c'est-à-dire le don volontaire que l’on fait de ses forces et de son temps pour l’accomplissement d’une tâche collective; c’est plutôt une méthode idéale, car les sociétés humaines ayant toujours été jusqu’à ce jour hiérarchiques, l’enthousiasme aurait joué surtout au bénéfice des couches supérieures, ce qui réduirait d’autant ses chances de survenir ; les rares exemples qu’on peut noter sont liés à des circonstances exceptionnelles (périodes de guerre ou de révolution), par nature transitoires. Il reste la dernière méthode, c'est-à-dire la nécessité de subvenir à ses besoins. Or il n’y a pas de besoins naturels ou élémentaires. Sont élémentaires les besoins considérés tels dans une société donnée, et notre société industrielle est justement axée sur la croissance des besoins. Le travail avait pour nos ancêtres une connotation plus péjorative que valorisante. Ceux-ci savaient vivre, si l’on ose dire, entre les famines, les épidémies et les guerres. « Qu’on en juge : cent soixante-quinze jours chômés par an dans toute la Rome impériale et cent soixante jours au Moyen Âge dans l’Europe catholique ; jours chômés consacrés aux fêtes, aux jeux, à la politique et à la religion. Méprisé dans l’Antiquité, le travail était essentiellement servile et l’homme libre se devait de se consacrer à l’otium . La tradition catholique de son côté n’a jamais beaucoup valorisé le travail, au contraire de la tradition protestante, comme l’a bien souligné M. Weber. C’est la révolution industrielle qui a réduit le temps libre à sa portion congrue en asservissant l’individu au temps des mines, des usines et des gares. Le chef d’entreprise était devenu le maître du temps avec ses horloges, ses horaires, des journées de labeur interminables, puis avec l’apparition du travail de nuit. Dans la classe ouvrière on y mourrait jeune, de fatigue, d’épuisement et d’usure. La littérature abonde pour décrire avec détail la misère à cette époque. C’est dans ce contexte que les luttes syndicales ont eu pour principal objectif la diminution de la durée du travail.» En fait, c’est la révolution scientifique et technique qui a le plus fait pour le progrès de la condition sociale du prolétaire. On produit de plus en plus de biens avec un moindre travail, qualitativement et quantitativement. Paradoxe, la rationalisation du travail génère le chaos social. La société salariale semble s’engager sur la voie du travail réduit en durée, mais ce ne sont là que des pronostics d’économistes et de sociologues qui butent sur un obstacle psychologique. L’individu ne serait-il pas le principal frein à cette nouvelle potentialité historique d’un abaissement du temps de travail ? « Si l’entreprise prend le temps du sujet, c’est peut-être parce que le sujet désire s’y laisser prendre…» conclut ainsi Roland Brunner sur la question du temps de travail. Karl Marx définit le travail comme « l’ensemble des actions que l’homme, dans un but pratique, à l’aide de son cerveau, de ses mains, d’outils ou de machines, exerce sur la matière, actions qui, à leur tour, réagissant sur l’homme, le modifient.» Le développement individuel apparaît comme le produit de l’interférence entre deux tendances : l’aspiration au bonheur, égoïsme, et l’aspiration à l’union avec les autres membres de la communauté que Freud qualifie d’altruisme. Dans l’évolution culturelle, on a l’impression que la création d’une grande communauté humaine réussirait mieux si on n'avait pas à se soucier du bonheur de l’individu. Cette idée est clairement exprimée par l’importance que l’on donne à l’entreprise au détriment de celle accordée aux intérêts personnels de ses salariés. Je déplore avec Friedmann que l’on s’occupe plus du processus industriel et de ses intérêts économiques que du bien-être des hommes qui l’activent . La plupart des civilisations — même l’humanité toute entière — ne sont-elles pas devenues névrosées sous l’influence des efforts du processus de civilisation même ? BIBILOGRAPHIE: BRUNNER (Roland), op.cit. pp 29-30. C’est George Friedmann qui cite Marx dans Friedmann et Naville, Traité de sociologie du travail, Paris, Armand Colin, 1964, Vol I, p 12. L’auteur donne en référence l’ouvrage suivant, auquel je me suis également reporté par ailleurs : MARX ( Karl), Le Capital, Paris, Editions sociales, 1948, t.I, p.180. DE COSTER, PICHAULT, Traité de sociologie du travail, Bruxelles, De Boeck-Wesmael, 1994, p 234 FREUD (S.), Malaise dans la civilisation, Paris, PUF, 1971. Le livre La Maintenance sous traitée

La sous-traitance du point de vue sociologique.

Jean Dupré définit la sous-traitance en la liant au concept de prestation. Le prestataire est pris dans une contrainte où il ne peut brandir des droits pour limiter, par exemple, la durée de son travail à la durée légale ou maximum autorisée. Pour que l'entreprise qui l'emploie perdure et garde son client, le travailleur en contrat à durée indéterminée a le sentiment d'avoir quelque responsabilité et quelque pouvoir en remplissant parfois, dans des conditions extrêmes, une mission. Il se sent le pouvoir de « sauver l 'entreprise » en prenant sur son temps de vie, comme un patron « sauve » la sienne en licenciant une partie de ses effectifs. Ce pouvoir qu'il s'accorde lui permet de légitimer non seulement la restriction de sa liberté mais aussi de celle des autres au nom d'un esprit d'équipe. Le travail prime sur l'intérêt personnel, et cet esprit d'équipe est là pour le rappeler. On craint que la prestation revienne à une entreprise concurrente, ceci impliquant le renvoi de la sienne et des changements de situation angoissants. La prestation de service signifie la mise à disposition de personnel qui ne peut, pour honorer le contrat entre l'employeur et le donneur d'ordre, que se plier aux exigences de ce dernier. Le débat entre le travailleur et ses supérieurs est ainsi réduit au caractère purement professionnel, excluant la mise en question des conditions de travail. Cette citation d'Ernst Jünger me paraît décrire parfaitement cette situation : « toute exigence de liberté apparaît ici comme une exigence de travail ». Cela veut dire que l'individu est libre à condition qu'il soit Travailleur. Pour Jünger, être Travailleur veut dire avoir part à « une nouvelle humanité vouée à la Domination par le destin ». Autrement dit, il faut que l'individu intègre mentalement pour son intérêt propre les exigences des structures dominantes, qui, avant de représenter le destin, sont surtout celles de la domination technico-commerciale. Pour que notre désir de liberté corresponde aux besoins de nos maîtres. L’idée de besogne et de développement du travail professionnel est irrationnelle du point de vue de l’intérêt personnel mais demeure un des éléments de notre culture capitaliste. Comment ne pas concevoir que l’existence d’une forme réductive de conditions de travail ne peut exister sans l’intégration mentale de cet élément ? Celui qui dit à son collègue « j’ai encore gagné ton salaire » exprime à peu près la même chose que le verset de Saint-Paul « si quelqu’un ne veut pas travailler, qu’il ne mange pas non plus », dont Weber a écrit qu’il vaut pour chacun et sans restriction. Bibliographie: JUNGER (Ernst), Le Travailleur, Bourgois, 1989, p 100 WEBER Max, L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme, Paris, Plon, 1976, p80. Le livre La Maintenance sous traitée

lundi 16 septembre 2013

La maintenance sous traitée.

Il y a deux catégories de personnel : ceux qui se lavent les mains avant d’aller pisser, et ceux qui se lavent les mains après. De cette observation naît ce mémoire, à une époque où il est devenu démodé de penser à la lutte des classes comme le plus important fait social. En même temps travailleur et étudiant, l’auteur a 33 ans lorsqu’il écrit ce mémoire de sociologie universitaire. C’est un témoignage insolite et implacable sur le travail dans l’industrie et son changement technique et organisationnel. Mais est-ce le changement technique qui implique de nouvelles organisations avec la sous-traitance ou le contraire ? La lutte des classes a-t-elle disparue et y a-t-il encore des classes sociales ? La démocratie trouve-t-elle sa place à l’usine ? Comment la couleur de ses vêtements indique-t-elle le degré d’exploitation du travailleur ? Et surtout les grandes entreprises sous-traitent-elles tant leurs services et en particulier celui de la maintenance de l’outil de production pour des raisons économiques ou pour des raisons moins avouables dont le but serait de tuer la revendication syndicale et d’injecter du travail clandestin dans une institution à l’image politiquement correcte ? À travers une étude en sociologie du travail sur les mystérieuses politiques managériales encore à l’œuvre intramuros dans les usines de nos pays démocratiques à la fin du XXème siècle, l’auteur nous dévoile la vraie nature du travail de maintenance, dans son ambiance colorée de témoignages des protagonistes et dans le respect de l’objectivité qu’implique le format universitaire. Le livre La Maintenance sous traitée Acheter La Maintenance sous traitée La maintenance sous traitée est également disonible en PDF pour 4,99€.