vendredi 20 septembre 2013

La maintenance.

Tous les chercheurs qui ont approché de près ou de loin la question du changement technique sont d’accord sur l’idée que la maintenance est une activité dont l’importance s’accroît avec l’essor de l’automation dans les processus industriels. Pourtant les études clés qui ressortent en sociologie industrielle sont toujours axées sur la production. La tendance à porter celle-ci au-devant de la scène des activités d’une usine ne fait que refléter une réalité de terrain. La production, ses locaux et son équipement, c’est ce qu’on montre aux visiteurs, investisseurs, décideurs et hautes personnalités, chercheurs, stagiaires, ou parents du personnel. C’est l’activité qui, de toute évidence, réalise le produit dont la vente est la finalité de l’établissement. On peut donc avoir toutes les raisons de penser que cette activité est l’unique objet de toute curiosité venant de l’extérieur. A moins qu’ils ne soient orientés par les dirigeants des firmes pour promouvoir les activités sociales au sein de la production pour l’extérieur, il est donc tout à fait normal de voir économistes et sociologues se diriger vers les locaux de production quand ils viennent en usine et délaisser les ateliers de maintenance. La maintenance, c’est une activité compliquée, de haute technicité, occulte pour le profane. La maintenance, ce sont des gens qui réparent les machines lorsqu’elles sont en panne, qui les règlent, mais encore ? L’idée de maintien en état de marche d’une installation mécanique peut se résumer par le terme entretien. Avant de s’appeler service de maintenance, la division d’une usine affectée au maintien des murs et de leur contenu matériel en bon état recevait le titre de service entretien. Il ne faut entendre sous la notion de bon état ni le maintien à niveau neuf, ni à niveau minimal exigé pour que l’installation reste en service, mais un compromis, un état où l’équipement peut continuer à fonctionner sans être l’objet de pannes fréquentes entravant l’activité industrielle. Cette notion de bon état est donc très relative, mais n’en est pas moins importante. L’évolution du process industriel par l’automatisation et la réduction en effectif du personnel présent pour la surveillance et pour l’entretien des installations s’accompagne de la précision toujours plus fine de cette notion. Selon la densité et la proximité humaine dans l’environnement d’un système mécanique, le bon état de celui-ci est apprécié différemment. A l’extrême, les composants mécaniques d’un atelier entièrement automatique fonctionnant sans arrêt ne doivent jamais tomber en panne. Ceux qui complètent le travail de l’homme sur un équipement semi-automatique, continuellement surveillés par la présence humaine, ne requièrent pas une aussi grande fiabilité. Même si ces deux exemples sont caricaturaux, il est réellement difficile d’associer forte densité humaine et haut degré d’automation. En fait, ces deux exemples appartiennent à deux époques différentes, et, aujourd’hui, c’est pour une fiabilité maximale que doivent œuvrer les services de maintenance. Ce dernier mot est symbolique d’une plus forte demande en fiabilité que son prédécesseur entretien. Il évacue du même coup tout ce qui est périphérique éloigné de la production : maçonnerie, menuiserie, par exemple; pour être concentré sur l’outil de production. Car la maintenance est au service de la production, en termes de dépannage et d’assistance. Plus le processus d’automatisation s’amplifie, plus la production intègre une partie de la maintenance, mais plus elle devient exigeante en regard de ce qu’elle n’intègre pas. La production prend à sa charge les pannes ponctuelles, mais elle exige auprès de la maintenance que celles-ci deviennent de plus en plus rares. Le but théorique est de supprimer toute défaillance. En termes de délais et de résultats, la maintenance est fournisseur de la production. Rationaliser le travail de maintenance est un enjeu, mais le résultat n’en est pas évidemment heureux. La rationalisation du travail de production déboucha sur le travail parcellaire. Ce dernier s’estompe par l’essor de l’automatisation, laquelle décerne la primauté du contrôle sur l’opération : l’ouvrier de production n’exécute plus, il gère. Entre 1960 et 1981, les travaux parcellaires répétitifs déclinent en regard du temps passé par rapport au temps total travaillé : 90 % en 1960, et 15 % en 1981. Parallèlement, l’activité de contrôle des installations devient prédominante : 10 % en 1960, elle occupe 85 % en 1981. Ce glissement s’accompagne de celui des priorités qui fait naître à l’arrière-plan un complexe incitant à une révision des structures du travail. La forte demande en main d’œuvre qualifiée a rapidement eu pour conséquence une surabondance de celle-ci, entraînant la perte du pouvoir que détenaient les ouvriers professionnels d’entretien sur la production. La maintenance pénètre la production, et les frontières s’estompent. Pour Marx, la figure du travailleur qualifié n’existe pas. Le travail qualifié complexe n’est qu’un composé de travail simple non qualifié. Cette réduction un peu rapide sert pourtant de base à l’objectif des nouveaux dirigeants des services de maintenance des grosses firmes, et si cette équation combinée avec les nouveaux outils informatiques peut aboutir, c’est qu’elle aura forcé la résistance passive qui hantait les collectifs de travail des ex-services entretien. Que ce soit avec ou sans un processus de rationalisation, la maintenance a aujourd’hui un but clair. Il s’agit de rendre les installations productives les plus autonomes possibles de l’intervention humaine, libérant les derniers travailleurs de tâches ingrates et d’un environnement infernal. La maintenance, c’est l’une des mains du Progrès qui œuvre pour le bonheur de l’Homme. BIBLIOGRAPHIE: KERN (Horst), Schumann (Michael), La fin de la division du travail ? La rationalisation dans la production industrielle, Editions de la Maison des Sciences de l’Homme, Paris, 1989, p.92. TOURAINE (Alain), Critique de la modernité, Paris, Fayard, 1992, p 128. Le livre La Maintenance sous traitée

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